Soigner son âme Méditation et Psychologie, Jacques Vigne

« Le Soi en tant que sagesse a pénétré le soi en tant que corps jusqu’aux cheveux et jusqu’au bout des ongles ». Kaushitaki Oupanishad, 4-20
« Le Soi en tant que sagesse a pénétré le soi en tant que corps jusqu’aux cheveux et jusqu’au bout des ongles ». Kaushitaki Oupanishad, 4-20

Il y a des bases communes entre psychologie de la méditation et psychologie moderne : par exemple l'importance donnée aux mécanismes de transfert, de projection et d'identification.

 

( …) Nous verrons tout au long du livre le rôle de la désidentification dans l’évolution intérieure.

 

Le yoga peut être considéré comme une science, puisque les mêmes pratiques effectuées dans les mêmes conditions produisent globalement les mêmes résultats.

 

Simplement, comme les conditions sont psychologiques, et que les résultats de la pratique ne se manifeste pleinement qu’à long terme, cet aspect de science exacte est certes moins clair qu’en physique ou chimie ; mais c’est aussi le cas des psychothérapies.

 

Le gout pour le yoga ne vient pas d’une pathologie, mais d’une normalité insatisfaite.

 

Le karma correspond à l’ensemble des problèmes non résolus, et mieux vaut qu’il ne soit pas trop lourd si on veut pouvoir être prêt (adhikari) pour la voie du yoga.

 

En Occident, on a trop tendance à différencier la psychothérapie et la méditation en disant que la première se pratique à deux  la seconde se pratique seul.

En réalité la méditation traditionnelle se fait en lien avec un maître spirituel. Quand il n'est pas présent physiquement, sa présence subtile n'en est que plus forte, pourvu bien sûr que le lien a été établi.

(…) On s'est aperçu que le pays de l’esprit n’avait pas seulement besoin de d’hôpitaux, mais aussi de stades où les gens sains puissent s’exercer et développer leurs facultés.

C’était en fait un retour à la perspective du développement spirituel.

 

 

Quels ont les conseils de pratique et de discipline qu’on retrouve dans la plupart des traditions pour assurer un développement intérieur réussi ? (…)

Les méthodes d’inspiration psychanalytique ont tendance à rejeter la responsabilité des souffrances sur les parents ; on le leur a souvent reproché, à juste titre.

 

Le comportementaliste lui, rejette la responsabilité sur l’environnement.

La notion de karma individuel développé en Orient peut aider la personne à se sentir entièrement responsable d’elle-même. (…)

 

Une perspective spirituelle saine aide à relativiser et à laisser la psychologie et ses problèmes indéfinis ; on apprend à s’en désidentifier.

Comme le dit Nisargadatta : « pourquoi chercher à changer un mental qui de toute façon change tout le temps ? » (Nisargadatta Maharaj, I am that)

 

On peut se demander enfin si c’est la psychothérapie qui fournit un arrière-plan pour la méditation ou l’inverse. Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse, dans la mesure où la psychothérapie est une démarche limitée dans le temps alors que la méditation nous accompagne la vie durant.

 

Cependant, les deux gardent un point de départ commun : c’est la conscience, la Connaissance qui libère.

 

On demandait un jour au Bouddha :

« Qu’est-ce que le vénérable Gautama considère être utile ?

–C’est le fruit de la libération par la connaissance que le parfait considère être utile » (Smyutta Nikaya)

 

« Au-delà » (…) que ce soit au-delà du corps, des émotions, des relations, des attachements ou des expériences intérieures elles-mêmes.

Aller au-delà du corps, thème qui revient souvent dans le Zen et le Vedanta, ne signifie pas chercher à le martyriser ou à le dompter de force.

 

Il s'agit de comprendre profondément que c'est le mental sensori-moteur, de par son agitation constante, qui empêche la joie, déjà présente à la base de nous-même,  de se manifester.

 

Le mental ne peut pas plus se libérer de lui-même qu’un nageur ne peut se dresser sur la surface d’un lac et marcher sur les eaux. Il a besoin de se référer à quelque chose au-dessus de lui-même, en dessous, ou à côté, en tous les cas en dehors : si le non-mental existait pas, il faudrait l’inventer.

 

Quand une voiture s’embourbe, cela ne sert à rien d’accélérer : il faut sortir du véhicule et aller sur la terre ferme pour tirer à partir de ce point d’appui.

 

La méconnaissance de ce fait me semble la raison de l’échec de l’introspection occidentale au sens habituel du terme : en effet, on y ajoute du mental au mental, et on ne s’en sort pas. (…)

 

De fait, si on pouvait réellement écouter l'écho d'une pensée, puis l'écho de cet écho, et ainsi de suite jusqu'à l'infini, la conscience se fondrait dans le silence et « cela » se révélerait de lui-même. Mais on fait des premiers échos, des échos inférieurs, un système, une théorie, une philosophie ou même un mystère à croire, et l’on perd la subtilité, pense j’aimerais pouvoir dire, des échos supérieurs. (…)

 

En psychologie, on parle aussi beaucoup de la position «au-delà » ; en PNL par exemple il y a un exercice très simple qu’on appelle prendre la position « méta » : il s’agit seulement de se voir comme si on était derrière soi-même ; cela reprend – ou redécouvre spontanément, je ne sais -   une ancienne technique de méditation.

 

On parle souvent de l’efficacité de recourir au soi qui observe pour soulager des anxiétés, peurs, conflits intérieurs, etc.

Cette position permet de sortir d’un cercle vicieux, celui de l’identification.  

 

Maintenant, on pourra facilement comprendre que si on peut se mettre dans la position d’un soi qui observe le soi qui observe, on pourra sortir de peurs, d’anxiétés, de plus en plus subtiles, et de cercles vicieux plus difficiles à percevoir parce que plus grands.

 

En élargissant ainsi la conscience, on permet au Soi de se manifester complètement, nous dit la Tradition.

Reconnaître un au-delà du mental et de la personne n’est pas une lubie métaphysique ; c’est une attitude qui a une efficacité thérapeutique. (…)

 

Pour trouver le soi, il n’est pas suffisant qu’à certains moments on éprouve un certain intérêt pour le Soi : la recherche du soi est une passion.

 

 

Quand on a essayé la thérapie par la parole, la visualisation, le rêve éveillé, lucide, dirigé, initiatique, l’émotion, l’énergie, le mantra, et que rien ne marche vraiment, un énorme ras-le-bol émerge, qui n’est autre qu’un sursaut salutaire.

C’est alors qu’on trouve soudain une énergie forte comme une épée pour trancher les nœuds du mental. On se trouve projeté hors du mental, dans l’espace spirituel, sans d’ailleurs bien savoir où l’on arrive.

 

Nisargatta Maharaj ne nous dit pas autre chose, en des termes plus radicaux : « Vous vous imaginez être ce que vous n’êtes pas –stoppez cela. C’est la cessation qui est importante, pas ce que vous allez faire cesser. »

 

(…) On peut remarquer que se fiér uniquement à ce qui est verbalisé pour explorer l’intérieur est une sorte de comportementalisme réducteur. Les comportementalistes habituels enregistrent des mouvements ou des tensions musculaires, les thérapeutes qui font verbaliser enregistrent des mots, mais personne ne semble avoir envie d’aller voir ce qui se passe réellement à l’intérieur de la « boîte noire » des émotions ou des sensations infraverbales.

 

J’ai pu vérifier par moi-même qu’une psychologie qui paraît plutôt simpliste comme celle des trois gunas (qualités), était en fait suffisante pour la pratique spirituelle.

 

On apprend certains moyens de transformer la léthargie, la paresse (tamas) en dynamisme (rajas), par le hatha-yoga par exemple. 

Puis on apprend à transformer le rajas  en sattva, (légèreté, lumière) par la discipline de vie et la méditation.

 

 Je ne dis pas que cette grille de lecture est suffisante pour expliquer tous les détails du mental ou la psychopathologie, mais je dis qu’elle donne le fil directeur de la pratique, chez quelqu’un qui est prêt pour cela.

 

Quand on regarde l’histoire des sciences, il est intéressant de voir que le zéro (shounya) est venu d’Inde, et que c’est l’introduction des chiffres dits arabes à la place des chiffres romains qui a permis le calcul rapide et le développement des mathématiques.

 

De même, il n’est pas interdit de penser que l’introduction actuelle d’une réflexion sur la vacuité (shounya également) et d’autres techniques de méditation simples puisse enclencher un nouveau développement dans la psychologie occidentale, celle-ci étant victime et paralysée, non par ses complexes, mais par sa complexité.

 

 Si on devait comparer la méditation à un traitement par les plantes, on pourrait dire qu’elle consiste en une naturopathie intérieure où l’on utilise avant tous les simples, à la manière des moines du temps jadis.

On peut voir l’inconscient et chercher à y entrer pour se promener au risque de s’y perdre : c’est la tentation de la psychanalyse.

 

On peut le voir comme une série de panneaux indicateurs qui nous remettent sur la bonne route au moment voulu : c’est la forme d’un inconscient qui est en méditation. Il ne s’agit pas d’être assis au bord de l’océan et de se concentrer sur tout ce qui est rejeté sur la grève, il s’agit d’être installé sur la berge d’une rivière et de regarder les objets flottants passer et s’en aller.

 

( …) « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? »

Quand on a épuisé les livres – ou que les livres nous ont épuisés - quand on a fait tant de fois le tour des théories psychologiques et des recettes thérapeutiques qu’on se met à tourner en rond, on en vient à la conclusion que la meilleure psychologie est celle qu’on pratique en soi-même, pour soi-même et par soi-même ; et on est mûr pour un itinéraire de méditation.

 

 

Les fondations de la méditation : 

 

 Il y a une notion importante en spiritualité hindoue : celle d'adhikari, c'est-à-dire celui qui est prêt, habilité à recevoir un enseignement.

La première condition est d'avoir des intentions claires : pourquoi souhaite t-on méditer, pourquoi continue-t-on à pratiquer ?

 

La meilleure motivation(sankalpa) , c’est le désir de création, et le faite de vouloir pratiquer la méditation pour la méditation, comme une sorte d’art pour l’art.

 

Le désir de réduire son stress et d’avoir une vie plus calme et plus consciente est une bonne motivation de départ. Le désir de comprendre quelques ficelles du psychisme par volonté plus ou moins obscure de manipuler les autres en est par contre une mauvaise.

 

Se demander de temps à autre « Pourquoi je médite ? » est une manière de faire le point, de reprendre le le cap dans la grande traversée de son monde intérieur.

 

Dans le yoga, on commence par demander à l’aspirant de veiller sur cinq points principaux : la non-violence, le non-vol, la vérité, la chasteté et la non-accumulation.

 

Chacune de ses qualités à deux niveaux, selon que la personne vit dans le monde ou consacre tout son temps à la sadhana. (Si l’on a une famille, on ne peut  pratiquer complètement la non-accumulation par exemple.)

Les hindous accordent une grande importance à la vérité ; leur devise est satyameva jayate  (la vérité remporte la victoire) ».

L’habitude de la vérité donne un pouvoir à ce qu’on peut dire sur l’expérience intérieure, elle donne même un pouvoir vis-à-vis de soi-même. Si on a l’habitude de ne dire que des choses vraies, même ce qu’on dira à son inconscient sous forme d’autosuggestion, de désir d'évolution, aura une forte tendance à se réaliser.

 

Il y a une prière védique qu’il est particulièrement bon de réciter si l'on doit parler de sujets spirituels :

« Ô Soi suprême, que ma parole soit établie dans mon esprit, que mon esprit soit établi dans la parole. »

 

Avant d’aborder le niveau supérieur de conscience, il est important de se connaître soi-même au niveau inférieur de conscience qui est sous-jacent durant sa vie quotidienne. (…)

 

Si le méditant ne croit plus à la notion de péché, et fait semblant de croire à la loi du karma comme c’est souvent le cas, il y aura un vide, il ne fera rien pour fonder son sens de la  responsabilité ; d’où des complications indéfinies dans tous les domaines de son existence.

 

Les nouveaux mouvements spirituels en Occident devrait s’inspirer sur un point du modèle hindou : les différentes écoles de l’Inde ne semblent pas avoir des idées qui varient considérablement, mais elles tombent d’accord pour ce qui est des bases nécessaires à une pratique spirituelle équilibrée.

 

Quoiqu’il en soit la discipline ne suffit pas à elle seule.

 

Il faut une motivation positive pour que l’intensité du bonheur qu’on trouve au-dedans soit supérieure à celle du bonheur qu’on obtient au-dehors.

 

C’est une expérience qui peut survenir - au moins pour quelques temps - directement du contact avec un maître spirituel.

 

Une autre motivation est la curiosité de découvrir son monde mental, un intérêt pour l’intérieur qui mènera progressivement au-delà du mental.

 

Pour une psychologie ternaire :

 

Quand on s'intéresse à la thérapie à long terme ou à la prévention en profondeur des troubles psychiques, la vision traditionnelle mérite d'être pris en compte.

 

Pour les hindous, la nature extérieure (prakriti), ainsi que le mental (manas), est constitué de trois qualités, comme tissée de trois fils : l’inertie, la destructivité (tamas), l’excitation, la passion (rajas) et la pureté , la luminosité (sattva).

 

Celui qui a une pratique spirituelle, ou plus simplement qui veux

aller mieux intérieurement, cherche à transformer l’inertie (tamas) et l’excitation (rajas) en sattva.

 

 L’Inde, par cette conception Ternaire, évite de tomber dans une psychologie à tendance manichéenne, que cette dernière soit morale avec sa distinction bien/mal, ou psychanalytique avec sa fatalité instinct de vie/instinct de mort.

 

Les deux pôles de tamas (instinct de mort) et de rajas (instinct de vie) doivent être dépassés par le méditant pour éveiller le sattva: ( littéralement sat-va : être –ité, qualité d’être).

 

Ce sattva, ce tiers exclu - ou refoulé - par les systèmes théoriques, moraliste ou psychologiques habituels, est pourtant celui vers lequel tend une évolution humaine réussie.

Dans le même sens, la conception étroitement dualiste corps /mental de la psychologie ordinaire bénéficiera d’une ouverture salutaire si elle s’élargit à une conception anthropologique ternaire : corps/âme/esprit . (voire latin, grec, hébreu, sanskrit)

 

L’âme dans ce vocabulaire représente le mental de base, « animal », et son fonctionnement automatique fondé sur le corps. L’esprit représente la conscience pure, la capacité d’intuition et de décision ultime.(…Thèse de Michel Fromaget sur l’anthropologie ternaire).

 

Une conception qui sépare l’âme de l’esprit favorise à mon sens une thérapie en profondeur car elle donne un soubassement théorique à la fonction de témoin essentiel dans l’évolution interieure des identifications successives qu’elle entraîne.

 

L’âme, le mental automatique, joue constamment son petit théâtre ; l’esprit regarde et réalise progressivement qu’il n’est pas impliqué dans ce jeu de rôle, dans ce psychodrame, tragique du point de vue de l’âme, plutôt comique du point de vue de l’esprit.

 

En résumé, il me semble important que la psychologie ne se laisse pas enfermer dans le dualisme des couples pulsions de mort/pulsions de vie et corps/mental, mais quelle s’ouvre à la vision ternaire traditionnelle et qu’après une centaine d’années d’évolution, elle apprenne, ou réapprenne, à compter jusqu’à trois.

 

(…) Sortir de la souffrance a toujours été une motivation pour entrer dans une voie spirituelle ; au début, on cherche à remédier à la souffrance physique, puis on s’aperçoit du rôle du psychisme dans l’origine ou l’aggravation de celle-ci et l’on entame un travail intérieur.

Par la méditation et les autres pratiques corporelles, on développe déjà une claire sensation de son corps.

 

La claire vision (Vipassana) et des sensations qui y naissent, s’y développent et y meurent, aide à accroître la lucidité à l’état de veille.

 

Jacques Vigne,  Soigner son âme Méditation et Psychologie

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